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“OpenStreetMap c’est la liberté !”

Dans cette Interview réalisée par le site Data Publica en septembre 2012, Gaël Musquet, président d’OpenStreetMap France, fait le bilan d’étape d’OpenStreetMap et fait le lien avec les questions d’Open Data.

Huit ans après la création du projet OpenStreetMap en Angleterre, Gaël Musquet, président d’OpenStreetMap France, revient sur la création, le développement et l’avenir du pionnier de la cartographie collaborative et libre sur le web.
Data Publica : Il y a un lien étroit entre l’open data et OpenStreetMap, est-ce que tu peux nous rappeler le déclencheur du projet ?

Gaël Musquet : Le déclencheur d’OpenStreetMap c’est justement qu’il n’y avait pas d’open data sur la donnée cartographique, en Angleterre. En 2004, Steve Coast, embarrassé par cette impossibilité de disposer librement de données cartographiques qui ont été produites par ses impôts, a décidé de créer le projet Open Street Map avec des étudiants et des amis. L’objectif était que là où l’Ordnance Survey, qui est un peu comme l’IGN chez nous et qui fonctionne de la même manière, ne pouvait pas fournir un accès libre à ses données aux citoyens, ceux-ci, quels qu’ils soient, pouvaient créer à partir de rien une carte de l’Angleterre d’abord, et ensuite du monde.

DP : L’idée au fond, c’est que ces données, si elles ne sont pas libérées par ceux qui les ont, le seront de toute façon par les citoyens eux-mêmes ?

GM : Tout à fait.

DP : Quelles ont été les grandes étapes du perfectionnement de la collecte des données pour les cartes OSM ?

GM: Les premières étapes, c’est déjà de construire une plateforme qui permette de recevoir les contributions et de les rendre graphiquement intelligibles et accessibles. Ensuite, et c’est la 1ère pierre angulaire d’OpenStreetMap, c’est le fait de pouvoir envoyer des traces GPS. Ces GPS permettent de récupérer des données ; il y a pour ça un super logiciel qui s’appelle GPS Babel, c’est un logiciel qui permet de convertir ces traces en un format libre, le format GPX. Le site d’OpenStreetMap permet de stocker ces traces GPX. C’est la 1ère étape : pouvoir partager et voir où on est passé et à partir de là tracer des routes. 2e étape : l’éditeur en ligne avec la création d’une API qui permet d’uploader, de télécharger, de modifier, de lire et d’écrire une base de données. Par la suite sont arrivés des éditeurs qui permettent d’éditer, de modifier cette base de données, et de là vient l’essor du projet : on a pu avoir un fond ou des photos aériennes, qui dans un premier temps étaient fournies par Yahoo, puis d’autres fournisseurs en temps de crise comme en Haïti. Aujourd’hui, Microsoft nous fournit une quantité importante de photos aériennes à travers Bingmaps qui nous met à disposition ses fonds cartographiques.

« OpenStreetMap est dans une période exponentielle »

DP : Donc le bilan depuis la fondation d’OSM en 2004 est… ?

GM : Très positif, de la demi-douzaine de contributeurs du début nous sommes rendus à 640 000 dont plus de 10 000 en France !

DP : Est-ce qu’il y a des statistiques sur l’usage d’OpenStreetMap ?

GM : C’est difficile à dire. Des statistiques doivent exister, mais je ne les ai pas en tête. Sur notre wiki, dans la rubrique serveur, le public a accès à toutes sortes de statistiques et de metrics, y compris la charge des serveurs, etc.

DP : Une des limites d’OpenStreetMap ne serait pas qu’il y a beaucoup d’utilisateurs, mais pas assez de contributions ?

GM : On a plus de contributeurs que d’utilisateurs réguliers, à mon avis, mais ce n’est peut être qu’une impression. Enfin, on a toujours besoin de contributeurs, il faut les renouveler ! Ils vieillissent, grandissent, se marient, font des enfants… Pour l’instant, nous sommes dans une période exponentielle. A chaque reportage, on a des pics de nouveaux contributeurs. C’est essentiellement l’information qu’il nous faudrait améliorer, avoir une dimension plus sociale, puisqu’en France on est assez « perso » derrière nos machines. On aimerait aller vers de la mapping party, vers de l’information systématique, et structurée.

DP : Ne reste-t-il pas des trous dans vos cartes ?

GM : Bien sûr ! En France et dans le monde, on a des niveaux de contribution qui sont différents et qui sont très souvent liés à la densité de population. Mais on a aussi des contre-exemples : en Corée du Nord, dans la bande de Gaza, ou à Tananarive à Madagascar. Dès que la donnée est disponible, il y a un effet buvard où les contributeurs se mettent à “miter” le territoire. Foursquare a fait un bilan, quelques mois après sa migration de Google Maps à OpenStreetMap, qui est plus que positif : des villes entières sont apparues au Brésil et dans le monde, parce que les contributeurs qui se sont inscrits à OSM souhaitaient voir leur ville apparaître sur cette nouvelle carte. On a des disparités territoriales, mais qui sont gommées généralement quand il y a une crise ; souvent, c’est le moment où d’un point de vue médiatique on fait attention à un territoire, en Haïti, par exemple.

Ci dessous la carte de Pyongyang (Corée du Nord) sur Google Maps :

Maintenant la carte du même lieu, d’échelle équivalente, sur OpenStreetMap :

DP : Pour revenir à la France, où est-ce que tu ferais des appels aux contributeurs ?

GM :  Avant tout en zone rurale, et en Outre mer. Mais ce que j’explique souvent aux élus, c‘est que dans ces territoires, il y a peu de choses à cartographier, et que l’on arrive très vite à être complet en termes de cartographie dès que l’on s’y met.

DP : Qui sont les contributeurs d’OpenStreetMap ?

GM : La population de nos contributeurs est extrêmement diverse. On a beaucoup de retraités qui ont du temps et qui sont passionnés de cartographie. Beaucoup d’étudiants également, dans tous les domaines, et pas seulement dans la cartographie. On retrouve des passionnés de généalogie (et des monuments aux morts), des personnes qui ont des spécialités, comme les pigeonniers, beaucoup de personnes qui s’intéressent aux transports, à la citoyenneté. De nombreux contributeurs sont issus des mouvements cyclistes, d’où la carte cyclable sur OSM qui rencontre beaucoup de succès. Et évidemment tous les libristes, quels qu’ils soient, et beaucoup de wikipédiens.

DP  : Emilie Laffray déclarait dans une interview sur Lemonde.fr qu’ »OpenStreetMap n’était pas concurrent de Google maps », pourtant on peut considérer que c’est le cas lorsque l’on voit Foursquare ou Laforêt abandonner Google maps pour OpenStreetMap ?

GM : Nous ne sommes pas des concurrents frontaux, dans le sens où nous ne produisons pas les mêmes services : on ne fait pas de Google Street View, on ne fournit pas de photos aériennes. Il y a une concurrence évidente sur la fourniture de données, sur certains types de réutilisation des données OSM. Donc oui, concurrents mais que sur une partie des munitions de Google qui par ailleurs finance régulièrement des évènements ou des infrastructures d’OpenStreetMap.

DP : Justement, quelles sont vos relations avec Google ?

GM : Nous avons été gentiment invités par Google Map Maker à une rencontre ouverte à la collaboration, pour voir comment il pourrait y avoir des bons procédés d’échanges de technologie entre nous.

DP : Et Microsoft ?

GM : Steve Coast travaille maintenant chez eux (depuis 2010) – c’est d’ailleurs la pierre angulaire de la fourniture des photos aériennes pour OSM. D’autres industriels ont adopté nos process, nos modèles : Mapquest, filiale d’AOL, qui  était leader de la cartographie web devant Google Maps il y a quelques années, utilise aujourd’hui totalement OpenStreetMap.

DP : OSM est-elle l’arme secrète de Microsoft contre Google ?

GM : Tout le monde voit un intérêt évident à utiliser OpenStreetMap, et on ne peut que s’en réjouir. Trop de Google Maps tue la carto, c’est pourquoi il est bien que l’on ait des alternatives libres. C’est sur ce créneau là qu’on se positionne. Nous sommes libres par rapport à Microsoft, Mapquest ou Google. Je suis certain que l’ensemble des innovations créées par OSM bénéficie à tout le monde. Des sociétés, même productrices de données,  nous aident, comme AND aux Pays Bas qui n’a pas hésité à donner l’ensemble de ses données filières de voirie à la communauté OSM des Pays Bas.

« OpenStreetMap, c’est un vivier de contributeurs, avec un besoin identifié sur une problématique territoriale, linguistique voire médicale »

DP : Quels avantages offre OSM,  par rapport à Google Maps ou Mappy ?

GM : La liberté ! OpenStreetMap ne se limite pas à un fond cartographique, c’est une base de données. Le fait que cette base de données soit exploitable librement donne toute possibilité à la réexploitation et l’application d’idées des développeurs. La liberté, c’est aussi la liberté d’écriture. Par exemple : l’internationalisation des cartes. Qu’un pays ou une ville ait la possibilité d’avoir une carte avec des données cartographiques dans plusieurs langues est un avantage dans la production de services à destination de toutes les populations. Dans toutes les langues, mais aussi dans tous les alphabets, jusqu’au braille. L’avantage d’OpenStreetMap c’est ça : c’est un vivier de contributeurs, avec un besoin identifié sur une problématique territoriale, linguistique voire médicale. Ainsi on nous a sollicités pour créer des cartes des bruits ou des odeurs afin que les personnes malvoyantes, non-voyantes ou handicapées puissent disposer de données cartographiques mobilisant d’autres sens que le toucher ou la vue.

DP : D’un point de vue institutionnel, y a-t-il des collaborations possibles avec l’IGN ?

GM : On a eu quelques contacts, mais pas officiels. Ce sont souvent des ingénieurs, des techniciens, des responsables régionaux ou départementaux. Quelques études, quelques comparaisons mais ça s’arrête là. Je profite de cette tribune pour les inviter de nouveau à nous rencontrer.

[A noter que, le mardi 18 septembre, Gaël Musquet participera au Data Tuesday spécial cartographie et géolocalisation co-organisé et hébergé par l’IGN : s’inscrire ICI]

DP : Il y a des résistances ?

GM : Il y a encore des résistances philosophiques sur ce qu’est la cartographie. Beaucoup de cartographes à l’IGN n’ont pas encore intégré le changement de paradigme introduit par le web : OpenStreetMap c’est de la carto par le web sur le web, et ça change tout. On les invite à nous rencontrer sans aucune aigreur, pour venir échanger de développement et de recherche.

DP : Est ce qu’avec Apple il y a des partenariats ?

GM : Ils réutilisent nos données donc on peut parler d’une forme de partenariat ! Au moins en lecture.

DP : Dans quel cadre ?

GM : iPhoto pour les applications.

DP : Est ce que vous avez des relations avec Tom Tom ?

GM : Tom Tom a récemment écrit un petit brûlot sur la communauté OpenStreetMap et le “danger” des cartes open source. Nous n’avons pas fait de réponse officielle. Néanmoins, la communauté, via des articles ou de blogs ont répondu de manière cinglante.

DP : Pourquoi ?

GM : Parce qu’on remet en cause leur modèle économique. J’adore cette maxime de Gandhi : “D’abord ils vous ignorent, ensuite ils vous raillent, puis ils vous combattent et enfin, vous gagnez”.

DP : Concernant votre licence,  vos données sont-elles librement réutilisables ou y a-t-il une obligation de redistribution à la communauté ?

GM : Licence ODBL, donc deux obligations : la paternité, et le partage à l’identique. Pour la paternité, il faut citer OpenStreetMap comme étant la source de la donnée. Partage à l’identique : si vous souhaitez réutiliser OpenStreetMap, libre à vous, il n’y a pas besoin de le déclarer. En revanche, si la base de données venait à être améliorée ou remixée avec les données propriétaires, verrouillées, il y a une notion de réciprocité qui oblige à reverser à la communauté OSM des données sous une licence ODBL ou une licence compatible avec elle. [Voir à ce propos la mise à disposition des données par Appartinfo]

« L’objectif c’est qu’OpenStreetMap devienne le pot commun de la cartographie »

DP : Finalement, comment vois-tu l’avenir pour OpenStreetMap ?

GM : L’objectif c’est que OpenStreetMap devienne le pot commun de la cartographie. On peut tout y mettre : les horaires de bus, les couleurs des lignes, etc. Deuxième objectif : avoir un panel de contributeurs plus large, et des contributeurs qui puissent se focaliser sur certaines tâches uniquement. L’information également : on a énormément de requêtes de collectivités et d’entreprises sur l’intégration, la distribution, l’extraction, la redistribution des données. En bref, l’objectif est qu’ OpenStreetMap devienne quelque chose d’automatique et de simple, comme le sont par exemple un tableur, un traitement de textes, que l’on vulgarise au maximum l’utilisation d’OpenStreetMap dans tous les domaines car aujourd’hui la cartographie devient un carrefour, un axe de présentation de la donnée.

DP : Si on se projette à long terme, est-ce qu’OSM n’est pas voué à se situer un cran au-dessus de Wikipedia, puisque toutes les données sont cartographiables ?

GM : Un cran au-dessus non, car nous avons une tâche qui est finalement assez limitée : la cartographie ; là où Wikipedia fait à mon sens beaucoup plus de choses : de l’open content, du Wiktionnary etc… Wikipedia c’est un projet qui brasse beaucoup plus de champs que le nôtre. Ce qui n’empêche pas que l’on puisse à terme avoir plus d’interlocuteurs que Wikipedia puisque l’on intervient dans tous les domaines de la vie courante. Navigation maritime, aérienne, ferroviaire, routière, gestion de crise, citoyenneté, etc. C’est un projet qui parle parfois plus aux élus et aux entreprises que Wikipedia, mais je pense pas qu’il y ait de supériorité. En revanche il y a un partenariat fort, un ADN commun qui est la création de contenu de manière collaborative et citoyenne.

DP : Si on revient aux origines de la création d’OpenStreetMap, c’était l’équivalent britannique de l’IGN qui bloquait les données. Tu ne crois pas que c’était un mal pour un bien, le nouveau modèle collaboratif dépasse t-il le précédent ?

GM : Je pense qu’il existe une complémentarité. On a toujours besoin d’un référentiel et je crois en l’action publique. L’Etat doit savoir ce qu’il a sur son territoire. Toutefois, sauf si ce sont des données à très haute valeur ajoutée sur des travaux géologiques ou sur un grand projet industriel, je crois les données doivent être libérées complètement. Aussi longtemps qu’il y aura des résistances de la part de la puissance publique, sur la livraison libre de données cartographiques mais aussi météorologiques ou d’autres données qui peuvent être acquises par crowdsourcing, on verra des projets comme OpenStreetMap prendre leur essor.

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Le petit chapeau introductif et la photo d’en tête (CC ArsenicPaca) ont été ajoutés par nos soins.

 

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